La violence est un évitement, une lâcheté évitable

Jeune guépard regardant en arrière

La violence est un évitement, une lâcheté évitable

Il y a quelques jours, commentant l’actualité au détour d’un café, un collègue affirmait dans un élan de fatalisme : « C’est comme ça, la violence est dans la nature de l’homme ». Certes intérieure, ma réaction épidermique chatouilla l’existentialiste qui m’anime…

Le déterminisme, une prison pour la joie

Par le simple constat de sa manifestation, la violence est humaine, soit. Elle est une potentialité… trop souvent transformée en réalité.  Ce que je ne concède pas, c’est d’en faire une fatalité. Cette violence est certes propre à l’homme, mais elle n’est pas le propre de l’homme.

Si je me dis notamment existentialiste, c’est que je ressens et intègre à ma vertu la maxime sartrienne « l’existence précède l’essence« . Désolé de ce préambule un peu tortueux, celui-ci me semble toutefois nécessaire pour contextualiser la discipline active que j’appelle en réponse à la violence subie, à laquelle nous pouvons tous être confrontés. Libre à vous de sauter au prochain chapitre… Ce faisant vous exerceriez votre libre-arbitre, pure expression de votre négation du fatalisme.

Par le simple fait de pouvoir écrire ou lire ces lignes, nous rétrogradons le déterminisme de la nature humaine.  Celui qui ferait le choix de se défausser de la responsabilité de ses choix, en laissant la main au déterminisme… prouverait par la même occasion qu’il est à l’origine du choix, qu’il existe donc (au sens existentialiste : avant de subir « sa nature ») et  démontrerait la vanité du déterminisme par lequel il voudrait se défausser.

Ajoutons à cela que tout observateur transforme l’objet qu’il étudie, autant que l’objet qu’il étudie transforme l’observateur. Il en découle que la simple conscience de nous-même  :

  • nous extrait d’une éventuelle position d’objet et nous confère la responsabilité de sujet ;
  • transforme le contexte que nous observons, à commencer par nous-même… ;
  • et nous donne accès aux émotions et à la joie d’être.

La conscience révèle donc nos capacités interactives avec soi, avec autrui ou avec l’univers. Qu’on le veuille ou non, nous faisons partie d’un tout. Nous agissons dans ce tout et sur ce tout. Comme le monde change en permanence, notre rapport au monde change en permanence… ce qui participe à changer le monde… et ainsi de suite, nous détachant alors de toute approche déterministe.

Les choses hors de nous peuvent être commises, mais la sagesse réside dans la capacité à choisir de les subir ou pas.

Mais revenons-en à la violence… pour mieux nous en détacher.

Les pensées négatives sont (trop) faciles

Si elle n’est pas forcément dans la « nature humaine », la violence apparaît toutefois au moins comme un comportement terriblement humain. Expression lâche d’une peur originelle, frappant en réponse à un agression ou en anticipation d’une agression potentielle, la violence fait partie de notre histoire.

Aussi difficile soit-ce à percevoir dans les prismes globalisés de notre monde contemporain, la violence a progressivement reculé au cours de l’histoire de l’humanité. Pour ne pas nous égarer plus, je vous invite à suivre à ce sujet le remarquable exposé de Steven Pinker dans son ouvrage La Part d’ange en nous, paru en 2011.

La violence a reculé et nous continuons pourtant à la craindre, comme si nous étions encore constamment poursuivis par des bêtes sauvages susceptibles de mettre un terme à notre modeste existence d’un seul coup de griffe. En la craignant, nous générons la violence, parfois par « prévention » ou  en lui conférant une « réalité potentielle ». Qui n’a pas vu le chien devenir agressif quand il sent la crainte à son égard ? Nos pensées sont parfois aussi génératrices de réalité que nos actes.

Nous accordons spontanément plus d’importance aux pensées négatives qu’aux pensées positives ou neutres, les premières étant pourtant beaucoup plus rares que le les secondes… Par facilité donc, nous adoptons des comportements incohérents – liés aux pensées négatives – en nous éloignant des 3 sources du bonheur que sont la vertu, la pleine conscience et la sagesse.

Face à la violence mais surtout dans le recours à la violence, nous faisons preuve de lâcheté. En ce domaine nous pratiquons l’évitement plutôt que d’aborder l’obstacle avec courage. Nous n’avons pas le courage de ne pas en faire une fatalité et de nous détacher des mécanismes de survie obsolètes plutôt que de nous engager sur le chemin de la joie, d’accepter de se faire confiance et de faire confiance.

Le bonheur se cultive dans l’impermanence

Par une forme de paresse, nous appliquons aujourd’hui des stratégies adaptées à un contexte passé, dans des situations qui ne les réclament pas. Réchauffer sans effort une pensée négative est paradoxalement plus commun que de se donner la discipline pour accéder aux pensées positives – celles pourtant qui nous permettent de savourer le réel bonheur contemplatif.

Nous choisissons cette facilité de la passivité ou du fatalisme parce que nous avons peur de ne pas réussir à changer. Encore une fois… cette peur qui nous freine ou nous paralyse nous renvoie à une stratégie adaptée à un contexte passé. Elle ne peut pas nous mener au bonheur ici et maintenant.

Rien n’est permanent, rien n’est figé… et pourtant nous avons figé des mécanismes, qui apportent des réponses inadaptées à des situations nouvelles. En d’autres termes, alliée d’un temps, notre peur se trompe d’objet si nous ne faisons pas l’effort de nous en détacher.

Vivant dans un monde en mutation permanente, vouloir accéder au bonheur, c’est avoir le courage de ne pas ignorer cette impermanence. C’est accepter de faire l’effort de changer soi-même en même temps que le monde. Vivre et accéder au bonheur passe par l’existence, quand l’essence ne suffit qu’à survivre.

Transcender notre nature passée

S’il y a une nature humaine, c’est donc celle qui active nos peurs pour nous permettre de survivre (sousvivre devrait-on dire) face aux dangers immédiats. A priori, pour la majorité d’entre-nous, nous ne sommes plus désormais sous la menace permanente d’un prédateur, nécessitant d’être constamment sur le qui-vive.

Aujourd’hui, nous aspirons à vivre plus qu’à survivre. Cet élan que l’on peut constater dans l’histoire de l’humanité se traduit par une volonté de se détacher de la souffrance. La survie comme seule aspiration implique la souffrance. Et la souffrance engendre la violence.

Pourtant nous continuons à mettre en oeuvre des mécanismes de survie là où nous désirons des mécanismes de vie (pour accéder au bonheur). Nous avons par exemple créé des dieux pour essayer d’échapper à l’idée de la mort au lieu de chercher d’abord à l’accepter. Nous préférons le réflexe reptilien de la fuite plutôt que de faire face à notre finitude. Pourtant, savoir accepter la mort serait certainement plus utile aujourd’hui que d’avoir peur des prédateurs qui pourchassaient nos ancêtres dans la jungle. Notre souffrance serait moindre.

Ainsi nous espérons le détachement de la souffrance en continuant à produire les conditions qui la génèrent, à commencer par la violence. Grâce à la vertu, la pleine conscience et la sagesse, nous avons le pouvoir d’agir sur la souffrance, dépasser les mécanismes limitants et nous extraire de ce cercle vicieux.

Agir sur les violences archaïques aux origines de la souffrance sera forcément vain, puisqu’elles sont passées. Toutefois, nous pouvons agir sur la souffrance elle-même, en décidant en nous de ne pas subir la violence.

 

Cesser de se torturer avec notre plus belle ressource

En 3 millions d’années, le volume de notre cerveau a été multiplié par 3.  Dans le même temps, les muscles de nos jambes n’ont pas grandi pour nous permettre de courir plus vite qu’un guépard, ceux de nos bras ne sont pas devenus si solides qu’il nous permettraient de briser le cou d’un grizzly, nos ailes n’ont pas poussé, nos branchies non plus. Parallèlement, nous avons dépassé le stade de la survie et nous aspirons à l’épanouissement.

Formidable outil, développé au cours de l’évolution de notre espèce, nous semblons encore utiliser notre cerveau avec grande maladresse. Collectivement, cela semble se traduire par une appréhension maladroite de la complexité du monde. Tels des éléphants lâchés dans un magasin de porcelaine, nous y composons une violente disharmonie en développant des « solutions » adaptées à des contextes passés. Pas besoin d’être collapsologue pour constater tous les dysfonctionnements de notre « système » à l’échelle du globe, reflets de « l’oeuvre humaine », désordonnée, violente, maladroite, inadaptée…

Nous vivons des désordres semblables à l’échelle individuelle. Nous tâtonnons  dans la découverte et la maîtrise du cerveau, un allié difficile à apprivoiser tant que l’on se refuse à la pleine conscience de l’impermanence. Atteindre l’harmonie du bonheur, réclame autant de courage que de constance.

S’il est plus aisé de céder au fatalisme de la violence qui prévalait au temps de nos impératifs de survie, emprunter le chemin laborieux pour s’extraire de la souffrance en vaut la chandelle… puisque la conscience de l’impermanence nous rappelle que le bonheur c’est le chemin.

Cultiver le terreau de la joie

A l’échelle de l’humanité, rares étaient jusqu’à présent les philosophes, penseurs et autres méditants à avoir exploré le potentiel du cerveau,  outil formidable que nous semblons avoir développé pour répondre à nos aspirations profondes. Aujourd’hui, les progrès de l’instruction et les avancées des sciences nous offrent un champ d’exploration aussi merveilleux que vertigineux.

Confrontés volontairement ou accidentellement à l’éveil, nous découvrons la puissance des connexions neuronales et des connexions culturelles. Nous expérimentons notre humanité autant dans notre universalité que dans notre intimité. Dans un cas comme dans l’autre, nous nous appliquons à balayer la souffrance de nos vies.

Nous avons la chance de ne pas partir de zéro. Notre curiosité, nos aptitudes au syncrétisme et les travaux des explorateurs du bonheur évoqués plus haut sont autant de matière à animer.

Nous pouvons par exemple nous appuyer sur l’expérience du jeune Siddharta qui invita ceux qui voulaient bien l’écouter à se détacher des 3 poisons du désir : l’avidité, la haine et l’illusion. Soit la quête du plaisir, la fuite du déplaisir et l’ignorance. Comme le souligne  Rick Hanson, dans Le Cerveau de Bouddha, les neurosciences ont récemment confirmé nos capacités à ce détachement autant que les bienfaits qu’il apporte.

En pratiquant la médiation et en cultivant notre curiosité, notre effort de conscience et de connaissance détricote la toile de l’ignorance pour nous ouvrir les yeux sur une réalité complexe et changeante.

La compréhension et l’acceptation de ce contexte nous dispensent des stratégies de contournement, d’évitement ou d’aspiration basées sur des virtualités et des projections, tout en nous permettant de nous concentrer sur la réalité. Comme il est inutile de vouloir faire démarrer une voiture à moteur thermique à coups d’éperons, nous comprenons qu’il est inutile de chercher le bonheur ailleurs qu’en nous-même, ici et maintenant. Nous nous dispensons de l’inefficacité et de la frustration, d’autant de sources de violences nouvelles, de souffrances et d’un retour à la case départ d’un cercle vicieux qui nous priverait du bonheur.

 

Puiser aux 3 sources du bonheur

Du seul constat de l’impermanence, il ressort que le bonheur ne peut résider que dans l’instant présent. Celui qui ne cesse de changer et auquel nous continuons bien souvent à opposer des solutions figées… Nous seuls avons la capacité de ne pas faire de cette équation une impasse. Nous seuls avons la capacité de changer. N’oublions pas qu’en changeant notre rapport au monde, nous changeons le monde. En refusant l’évitement qu’est la violence (par fuite ou par anticipation), nous bâtissons un monde de moins en moins violent.

Evidemment, savourer l’instant présent ne nous renvoie pas à l’ignorance de notre devenir ou de notre passé. Car c’est bien l’ignorance le facteur paralysant dans l’équation de l’instant présent. Ce n’est ni le devenir, ni le passé, mais le rapport décontextualisé que nous avons avec ces projections.

L’essentiel (ou devrais-je dire l’existentiel) est de se discipliner à avoir conscience que le devenir n’est que devenir, que le passé n’est que passé, que les justes réponses d’hier sont de justes réponses pour hier, ou que les mécanismes d’avant-hier sont autant de mécanismes pour avant-hier.

Cette démarche apparaîtrait peut-être comme un effort « contre-nature ». Mais n’avons-nous pas déjà fait cet effort lorsque nous sommes descendus des arbres jusqu’à aller cultiver notre conscience ? Car c’est bien la conscience qui nous rappelle que nous sommes une infinitude de parties interdépendantes de la nature. Nature dont nous partageons les traits de la complexité et de l’impermanence.

Cet effort semble donc d’autant plus naturel qu’il traduit l’aspiration au dépassement  d’une condition contextuelle… donc l’acceptation de l’impermanence. En d’autres mots le changement est naturel et nous avons prise dessus.

Si nous ne voulons pas de la violence, nous pouvons courageusement décider non seulement de ne pas la produire, mais aussi et surtout de ne pas la subir la violence en nous détachant de la souffrance. Pour ce faire, cultivons autant que notre conscience, la sagesse, le détachement et la compassion.

Si la violence est encore humaine, elle reste un recours pour le passé, mais surtout une lâcheté face à notre devenir.

 

Nicolas Potier

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